1851 : LA SOCIETE SECRETE DE SALERNES
Immédiatement après la révolution de 1848 qui provoqua l’abdication de Louis-Philippe, fut proclamée
Dès juillet 1848, le gouvernement restreignit l’activité des chambrées, ces micro-associations informelles présentes dans tous les villages de Provence et dans lesquelles se propageaient volontiers les idées progressistes. Il leur avait attribué le statut de club, une étiquette qui permettait de les contrôler plus directement. Aussi, affaiblis et limités dans leurs capacités à se réunir, de nombreux républicains s’organisèrent-ils, créant des sociétés éminemment politiques, et surtout secrètes pour mieux déjouer la surveillance policière de plus en plus pressante.
Frédéric Négrel(1) insiste sur un point : la société secrète correspondait à la fondation d’un parti républicain dont le recrutement devait être large et non pas réservé à une élite. On y fourbissait des armes démocratiques, non des groupes d’assaut ; elle n’était donc pas organisée pour le combat et ne s’y préparait pas. Car elle n’avait pas pour ambition de réaliser un coup de force pour la prise du pouvoir, mais plutôt de développer la propagande et le militantisme pour une République démocratique et sociale et, le cas échéant, la défense de
A partir de 1848 les sociétés secrètes se multiplièrent tellement qu’il en existait une dans chaque village du département trois ans plus tard.
C’est tout naturellement que, dans le Var et les Basses-Alpes plus qu’ailleurs, leurs membres se retrouvèrent en première ligne lorsqu’en 1851 Bonaparte décida de piétiner la constitution et de renverser
On ignore quand fut constituée la société de Salernes ; peut-être en 1850. On ignore tout autant le nombre d’adhérents qu’elle a pu compter dans ses rangs. Il n’existait en effet ni liste, ni comptabilité, ni registre d’aucune sorte. Néanmoins, lors de son interrogatoire en 1852, un des membres évoque la présence de 200 personnes à une réunion chez Lazare Meissel qui logeait à l’époque dans le vieux village aujourd’hui détruit. On sait également que ce sont des émissaires salernois qui mirent en place la société d’Aups avant l’été 1851. Car toutes les sociétés entretenaient de nombreuses relations entre elles, formant ainsi un réseau informel et totalement décentralisé.
A l’instar des autres structures, celle de Salernes était composée d’un président et d’un certain nombre de chefs de sections responsables d’une dizaine d’hommes chacun.
L’admission au sein de l’organisation se faisait selon un rituel de réception (peut-on parler d’initiation ?) qui empruntait beaucoup aux sociétés secrètes déjà existantes, et en particulier à la franc-maçonnerie. La cérémonie se déroulait loin des regards(2) ; l’impétrant gardait les yeux bandés ; on lui faisait prêter serment. On y copiait également les signes et paroles de reconnaissance, les attouchements ou la gestuelle. A Salernes, Jean-Baptiste Pascal, mallonier de 27 ans relate son expérience : il fut recruté en septembre 1851 par le perruquier Dauphin après plusieurs jours d’hésitation. De nuit et les yeux bandés, il fut conduit chez Honoré Dauphin qui habitait à l’époque dans l’actuelle rue Jean-Jacques Rousseau. On lui fit prononcer un serment dont il ne se souvient pas les termes. Il se rappelle surtout l’inquiétante question de savoir s’il était prêt à quitter sa femme, sa mère et sa fille. Il répondit qu’il en éprouverait beaucoup de peine. Mais comme on insistait il finit par dire qu’il partirait s’il le fallait.
A Artignosc, dont la formule du serment nous est parvenue, on jurait entre autres : d’armer [mon] bras contre la tyrannie tant politique que religieuse et de faire la propagande pour
Il n’y a donc pas le moindre élément qui permette de douter du caractère exclusivement politique des sociétés secrètes. On se réclamait républicain, on s’affirmait montagnard ; et on tentait avant tout de faire germer le grain qui devait assurer une moisson électorale abondante. Et c’est tout !
On ne s’étonnera donc pas de retrouver ces Salernois engagés aux premiers rangs des insurgés de 1851. Lorsque le Prince-président se commit dans le coup d’état du 2 décembre, ils n’hésitèrent pas à prendre les armes pour voler au secours de
La société quant à elle ne survivra pas aux évènements de décembre 1851. Son existence aura été extrêmement brève : quelques mois seulement ; un an ou deux tout au plus.
Je propose ci-après deux listes. La première fut dressée le 2 février 1852 à la demande de l’administration par Ferru le nouveau maire de Salernes, désigné pour remplacer le maire légitime Alexandre Cotte, père de Paul. Ferru n’a pu s’empêcher d’y ajouter trois noms d’opposants tout en précisant qu’ils n’étaient pas connus pour être adhérents de la société.
J’ai établi la deuxième liste (une soixantaine d’individus) essentiellement à partir des interrogatoires de police de 1852 ; elle reconstitue très partiellement l’effectif de la société secrète de Salernes et ne saurait donc être exhaustive. (Sources : Frédéric Négrel, Archives du Var, Association 1851 pour la mémoire des résistances républicaines)
Hervé Siffre
(1) Membre de l’association 1851 auteur d’une thèse sur la société secrète d’Artignosc.
(2) A Salernes les cérémonies de réception se déroulaient soit chez Lazare Meissel soit chez Honoré Dauphin.
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